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Erwan Le Morhedec. Je suis présent dans un établissement de soins palliatifs une fois par semaine, or je n’y rencontre pas une majorité de malades favorables à l’euthanasie et au suicide assisté. Je peux comprendre que des Français bien portants soient angoissés par un avenir qui peut être inquiétant, ou qui ont gardé des souvenirs de mauvaises prises en charge mais c’est de l’anticipation, ce n’est pas la réaction des seules personnes qui sont les véritables concernées : les malades.
Caroline Brandicourt, atteinte d'une maladie neurodégénérative, veut prouver que l’on peut être malade mais heureux, que dans la souffrance le principal besoin est d’être entouré. C'est ainsi qu'elle se lance le 22 avril 2023 dans une tournée de 2 mois à vélo, parcourant plus de 1 000 km à travers de nombreux départements en France qui ont besoin d’unités de soins palliatifs.
franceinfo : Est-il fréquent qu'un patient de votre service demande qu'on abrège ses souffrances ?
Xavier : Ce qui m'interroge beaucoup, c'est la notion de "fin de vie digne" et de "moment venu". C'est quand, le bon moment ? Qui le détermine ? Le patient, le médecin ? Sur quels critères ? Cette obstination à parler de "fin de vie digne" m'interroge aussi. Comme si aujourd'hui, en France, il était impossible de mourir dignement. Ce n'est pas le regard que j'ai sur mon métier au quotidien et sur les patients que j'accompagne.
Derniers Secours est une formation d’une journée, ouverte à tous et gratuite. Elle a pour but de sensibiliser, informer et guider les participants dans l’accompagnement des derniers moments de la vie de leurs proches.
Les soins palliatifs, une médecine qui accompagne la vie avec la maladie et permet à chacun de partir sereinement, sans souffrir, entouré des gens qu’il aime.
Je la quitte pour partir à la recherche du médecin. Son angoisse et sa confusion ont mis en lumière de façon évidente cette ambivalence humaine que l’on rencontre si souvent, je veux mourir, mais pas aujourd’hui. Je veux pouvoir changer d’avis. J'entends aussi ce sentiment si douloureux d'être une charge pour les gens qu'on aime, sa solitude et sa souffrance de ne pas voir ses enfants... La savoir dans une unité de soins palliatifs me rassure ; ici, la piqure qu’elle recevra sera pour apaiser des douleurs, pour mieux vivre le temps qu'il reste. Et demain sera un autre jour.
Il y a aujourd’hui des personnes qui voudraient mourir mais ne le peuvent pas, on les entend. Demain, certains mourront sans l’avoir voulu, personne ne les entendra plus. Cela, aucune loi ne peut l’encadrer. La loi passera pourtant, si ce n’est cette fois, celle d’après. Mais chaque législateur qui y prêtera la main devra vivre avec le poids des morts.
La déclaration d'amour de Michèle Bernard-Requin
En soins palliatifs, la magistrate honoraire nous adresse son « ultime texte ». Un hymne au corps médical et un avertissement à chacun d'entre nous. Par Michèle Bernard-Requin
Modifié le 09/12/2019 à 16:54 - Publié le 09/12/2019 à 14:09 | Le Point.fr
Michele Bernard-Requin, magistrate exemplaire, a rassemble ses dernieres forces pour ecrire un hymne au personnel hospitalier du pavillon Rossini de l'hopital Sainte-Perrine.
Michèle Bernard-Requin, magistrate exemplaire, a rassemblé ses dernières forces pour écrire un hymne au personnel hospitalier du pavillon Rossini de l'hôpital Sainte-Perrine.
Voici un texte poignant, bouleversant, qui tirera les larmes même aux plus insensibles d'entre nous. Des lignes que Michèle Bernard-Requin nous envoie depuis l'hôpital Sainte-Perrine à Paris, où elle se trouve, selon ses mots, « en fin de vie ». Michèle Bernard-Requin est une des grandes figures du monde judiciaire. Elle fut tour à tour avocate puis procureure à Rouen, Nanterre et Paris. En 1999, elle est nommée vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, elle présida la 10e chambre correctionnelle de Paris puis la cour d'assises, et enfin elle fut avocate générale à Fort-de-France de 2007 à 2009, date à laquelle elle prit sa retraite.
Auteur de plusieurs livres, elle intervient de temps à autre dans les médias et tient depuis 2017 une chronique régulière sur le site du Point dans laquelle elle explique avec clarté, talent et conviction comment fonctionne la justice et pourquoi, parfois, cette institution dysfonctionne. Aujourd'hui, c'est un tout autre cri d'alarme qu'elle pousse dans un « petit et ultime texte pour aider les "unités de soins palliatifs" », a-t-elle tenu à préciser dans ce mail envoyé par sa fille dimanche 8 décembre au matin. Un texte que nous publions tel quel en respectant sa ponctuation, ses sauts de ligne, son titre évidemment. JB.
UNE ÎLE
Vous voyez d'abord, des sourires et quelques feuilles dorées qui tombent, volent à côté, dans le parc Sainte-Perrine qui jouxte le bâtiment.
La justice, ici, n'a pas eu son mot à dire pour moi.
La loi Leonetti est plus claire en effet que l'on se l'imagine et ma volonté s'exprime aujourd'hui sans ambiguïté.
Je ne souhaite pas le moindre acharnement thérapeutique.
Il ne s'agit pas d'euthanasie bien sûr mais d'acharnement, si le cœur, si les reins, si l'hydratation, si tout cela se bloque, je ne veux pas d'acharnement.
Ici, c'est la paix.
Ça s'appelle une « unité de soins palliatifs », paix, passage… Encore une fois, tous mes visiteurs me parlent immédiatement des sourires croisés ici.
« Là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté ».
C'est une île, un îlet, quelques arbres.
C'est : « Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur d'aller, là-bas, vivre ensemble ». C'est « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans » (« Spleen ») Baudelaire.
Voilà, je touche, en effet, aujourd'hui aux rivages, voilà le sable, voilà la mer.
Autour de nous, à Paris et ailleurs, c'est la tempête : la protestation, les colères, les grèves, les immobilisations, les feux de palettes.
Maintenant, je comprends, enfin, le rapport des soignants avec les patients, je comprends qu'ils n'en puissent plus aller, je comprends, que, du grand professeur de médecine, qui vient d'avoir l'humanité de me téléphoner de Beaujon, jusqu'à l'aide-soignant et l'élève infirmier qui débute, tous, tous, ce sont d'abord des sourires, des mots, pour une sollicitude immense. À tel point que, avec un salaire insuffisant et des horaires épouvantables, certains disent : « je préfère m'arrêter, que de travailler mal » ou « je préfère changer de profession ».
Il faut comprendre que le rapport à l'humain est tout ce qui nous reste, que notre pays, c'était sa richesse, hospitalière, c'était extraordinaire, un regard croisé, à l'heure où tout se déshumanise, à l'heure où la justice et ses juges ne parlent plus aux avocats qu'à travers des procédures dématérialisées, à l'heure où le médecin n'examine parfois son patient qu'à travers des analyses de laboratoire, il reste des soignants, encore une fois et à tous les échelons, exceptionnels.
Le soignant qui échange le regard.
Eh oui, ici, c'est un îlot et je tiens à ce que, non pas, les soins n'aboutissent à une phrase négative comme : « Il faut que ça cesse, abolition des privilèges, il faut que tout le monde tombe dans l'escarcelle commune. » Il ne faut pas bloquer des horaires, il faut conserver ces sourires, ce bras pour étirer le cou du malade et pour éviter la douleur de la métastase qui frotte contre l'épaule.
Conservons cela, je ne sais pas comment le dire, il faut que ce qui est le privilège de quelques-uns, les soins palliatifs, devienne en réalité l'ordinaire de tous.
C'est cela, vers quoi nous devons tendre et non pas le contraire.
Donc, foin des économies, il faut impérativement maintenir ce qui reste de notre système de santé qui est exceptionnel et qui s'enlise dramatiquement.
J'apprends que la structure de Sainte-Perrine, soins palliatifs, a été dans l'obligation il y a quelques semaines de fermer quelques lits faute de personnel adéquat, en nombre suffisant et que d'autres sont dans le même cas et encore une fois que les arrêts de travail du personnel soignant augmentent pour les mêmes raisons, en raison de surcharges.
Maintenez, je vous en conjure, ce qui va bien, au lieu d'essayer de réduire à ce qui est devenu le lot commun et beaucoup moins satisfaisant.
Le pavillon de soins palliatifs de Sainte-Perrine, ici, il s'appelle le pavillon Rossini, cela va en faire sourire certains, ils ne devraient pas : une jeune femme est venue jouer Schubert dans ma chambre, il y a quelques jours, elle est restée quelques minutes, c'était un émerveillement. Vous vous rendez compte, quelques minutes, un violoncelle, un patient, et la fin de la vie, le passage, passé, palier, est plus doux, c'est extraordinaire.
J'ai oublié l'essentiel, c'est l'amour, l'amour des proches, l'amour des autres, l'amour de ceux que l'on croyait beaucoup plus loin de vous, l'amour des soignants, l'amour des visiteurs et des sourires.
Faites que cette humanité persiste ! C'est notre humanité, la plus précieuse. Absolument.
La France et ses tumultes, nous en avons assez.
Nous savons tous parfaitement qu'il faut penser aux plus démunis. Les violences meurtrières de quelques excités contre les policiers ou sur les chantiers ou encore une façade de banque ne devront plus dénaturer l'essentiel du mouvement : l'amour.
Toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite appelée directives anticipées pour préciser ses souhaits concernant sa fin de vie. Ce document aidera les médecins, le moment venu, à prendre leurs décisions sur les soins à donner, si la personne ne peut plus exprimer ses volontés.
Je constate que souvent ceux qui font la promotion de l'euthanasie et du suicide assisté sont seuls dans la vie, ne se sentent responsables de rien, ne veulent dépendre de personne, ni reconnaître qu'ils sont (comme tout un chacun) faits des autres, par les autres et grâce à eux. Le fantasme de l'autonomie moderne prend toute la place au point de refuser toutes nos fragilités. Le plus souvent, dans les arguments avancés, il n'est pas question de couple, d'aventure conjugale, de vie partagée avec un autre, de joies à voir grandir ses enfants et petits-enfants mais d'isolement, de besoins sexuels, de vie seule, de corps défaillant.
On peut tout vous pardonner, Christine Angot. On peut fermer les yeux sur votre agressivité chronique. Parce qu’ainsi va l’insignifiant et misérable spectacle médiatique. Mais pas là-dessus. Quand on bavarde à défaut d’agir, on endosse au moins la responsabilité de ne pas nuire aux acteurs véritables. Par des mots ignorants et tranchants dans un domaine d’infinie sensibilité, vous avez souillé l’engagement discret et patient de centaines de bénévoles, présents en silence, mais absents des plateaux télé. Vous nuisez à leur rôle essentiel, vous instillez le soupçon et la défiance dans cette relation toujours délicate, ce lien si fragile, entre un patient en fin de vie et le bénévole qui vient l’accompagner, qui vient l’aimer. Comment osez-vous ?!
Les soignants, les patients et leurs familles, ne s’y trompent pas, eux qui savent ce qu’ils vivent.
Et de quoi ils parlent.
La vulnérabilité de personnes – jeunes et moins jeunes – en situation de dépendance et de fin de vie appelle non un geste de mort mais un accompagnement solidaire. La détresse de celles qui demandent parfois que l’on mette fin à leur vie, si elle n’a pu être prévenue, doit être entendue. Elle oblige à un accompagnement plus attentif, non à un abandon prématuré au silence de la mort. Il en va d’une authentique fraternité qu’il est urgent de renforcer : elle est le lien vital de notre société.
Dans trois cas récents, elle a clairement opposé un refus à une demande d’euthanasie. Et la réaction est parfois aussi paradoxale qu’humaine. L’une des patientes enchaîne directement en expliquant : « alors, il va falloir que je tienne jusqu’au 4 février, parce que mon fils va passer ». Un autre lui répond ces mots étonnants, pour quelqu’un qui demandait à mourir : « je croyais que c’était la meilleure solution possible, mais je vais devoir trouver une autre façon de continuer à vivre ». C’est, me dit-elle, que l’on entretient tellement certains dans cette idée que l’euthanasie devient pour eux leur « projet de vie », leur unique but. Pourtant, quand le refus est posé, ils s’en fixent un autre. Le troisième cas ? L’homme atteint d’une SLA. Un mois après, son épouse, initialement convaincue qu’il fallait accéder à sa demande, dit simplement qu’ « il est bien ».
Pour le Docteur Perruchio, la demande d’euthanasie relève globalement de deux ordres. Une demande de principe, presque militante, émanant de milieux cultivés, intellectuels et socialement favorisés. Et la demande des malades qui souffrent.
Cette demande-là, « on la traite ». Car dans un service de soins palliatifs, les patients sont là parce qu’ils vont mourir : que risquent-ils de plus, dans le traitement de la douleur ?
Reportage sur les dérives et dangers de la légalisation de l'euthanasie. Et sur la réponse efficace : les soins palliatifs.
« Il y a quelque chose que le grand public ignore peut-être, c’est que, pour mourir, il ne faut pas simplement avoir un corps altéré mais aussi lâcher prise. Le lâcher prise, ça peut prendre du temps. Ce n’est pas parce que la fin de vie est difficile qu’il faut l’abréger. »
Une autre fois, dans un établissement de soins palliatifs où je venais jouer régulièrement. Des lits de malades étaient installés dans la chapelle où se tenait le concert. Quand je suis arrivée, une femme était déjà là, sur son lit. On entendait le "bip" de l'appareil auquel elle était reliée. Je me suis dit que j'avais bien fait d'arriver en avance afin d'intégrer ce bruit pour pouvoir jouer. Quand j'ai terminé le concert, avec la Berceuse de Chopin, sur le dernier accord, le bip s'est éteint. J'ai regardé dans sa direction. Elle était comme dorée, avec une larme qui coulait. Elle était morte. Elle avait dit à l'infirmière, alors qu'elle ne parlait plus depuis trois semaines, qu'elle ne voulait pas rater ce concert.
Devant un homme diagnostiqué en état de conscience minimale, faire le pari de la présence est un principe de précaution. S’abstenir de discourir de lui devant lui, d’une façon qui pourrait le blesser, c’est le b.a.-ba du respect. Trop de soignants l’oublient. Au retour de certains comas, des patients l’ont révélé, à l’image d’Angèle Lieby (auteur de Une Larme m’a sauvée) qui fut témoin, impuissante, du choix de son cercueil, avant de recouvrer sa capacité de communication.
Si la population pouvait voir de l'intérieur ce que sont les maisons de soins palliatifs, l'appui à l'euthanasie fondrait comme neige au soleil.
Les près de soixante-dix pages de l'avis 121 intitulé Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir, que le Comité national d'éthique français a publié en juin méritent d'être lues avec attention: on comprendra mieux pourquoi le Comité n'a pas reconnu à la personne en fin de vie un droit « à avoir accès à un acte médical visant à accélérer son décès », c'est-à-dire à l'euthanasie ou au suicide assisté. Et l'on trouvera des informations importantes qui justifient la crainte que des ouvertures législatives à la « mort douce » puissent donner lieu à des dérives dangereuses.
Les près de soixante-dix pages de l'avis 121 intitulé Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir, que le Comité national d'éthique français a publié en juin méritent d'être lues avec attention: on comprendra mieux pourquoi le Comité n'a pas reconnu à la personne en fin de vie un droit « à avoir accès à un acte médical visant à accélérer son décès », c'est-à-dire à l'euthanasie ou au suicide assisté. Et l'on trouvera des informations importantes qui justifient la crainte que des ouvertures législatives à la « mort douce » puissent donner lieu à des dérives dangereuses.